Le réveil sonnait une fois de plus très tôt à Megève. La nuit fut courte, mais au combien réparatrice après cette étape reine qui m’était restée dans les jambes. Le petit déjeuner était vite avalé et il était déjà l’heure de se rendre au départ, situé à 2 kilomètres de notre campement. Julien m’accompagnait jusqu’au départ, et je me rendais compte dès les premiers mètres que je n’avais pas de force dans les jambes. Je peinais à suivre la roue de Julien, qui n’avançait pourtant pas bien vite. L’étape du jour avec 145 km et trois cols s’annonçait très difficile…
Un départ violent puis une descente piégeuse
C’est toujours le soleil qui nous accompagnait pour ce 6ème jour de course et le départ se faisait au cœur de la très belle ville de Megève. Les petites ruelles du centre ville donnaient un petit air de Paris-Roubaix à cette Haute Route avec quelques pavés à franchir sur les premiers mètres de l’étape.
Le profil du jour annonçait trois cols, mais j’avais bien repéré avec Pierre Ruffaut que le départ réel était situé au pied d’une petite côte bien pentue. Je l’invitais à ne pas attaquer dans cette partie pour m’attendre en haut, mais il avait une seconde place au général à défendre…
Sur la ligne de départ, j’étais placé en fond de peloton mais ne m’inquiétais pas pour autant. Les 4 premiers kilomètres neutralisés me permettaient de remonter dans les toutes premières positions avant d’arriver au pied de cette fameuse côte. J’étais déjà hyper concentré sur mon effort, mais croisais quand même Hervé, Mickaël et d’autres coureurs sympathiques avec lesquels j’échangeais quelques mots. Je me préparais cependant à passer un sale quart d’heure, il allait falloir se faire violence même si je n’avais plus beaucoup d’énergie après autant de kilomètres parcourus…
Au détour d’un virage, la voiture du directeur de course accélérait vivement à l’approche du départ réel. Notre peloton s’activait également et nous arrivions bien lancés au pied de la première montée du jour. Je décidais de monter à mon rythme maximum sans me mettre dans le rouge, mais le cœur qui ne montait plus n’était pas un indicateur très fiable pour savoir où j’en étais. Je me fiait à mes sensations et à mon souffle, les jambes tournaient bien mais je devais constater impuissant l’envolée d’un paquet de coureurs devant moi. Les trois kilomètres de cette ascension nous mettaient tout de suite dans le bain, cette étape n’allait pas être de tout repos.
Je basculais au sommet le cœur palpitant, et plongeais tout de suite dans la descente sans perdre un seul instant. Pour une fois qu’une descente était chronométrée, je comptais bien la faire à fond ! Pour ne rien arranger, la chaussée était rendue très humide par les averses de la veille, et il fallait redoubler de vigilance pour ne pas aller à la faute. Sans prendre trop de risques, je reprenais des coureurs par grappes entières, assurant bien mes trajectoires et relançant quasiment au sprint après chaque épingles.
Après une dizaine de kilomètres parcourus à vive allure, nous retombions sur une petite portion de vallée avant le col de l’Epine, première montée répertoriée du jour. J’appuyais fort sur les pédales pour rejoindre Luka qui se trouvait devant moi, puis nous enchaînions quelques relais à plus de 45 km/h sans toutefois parvenir à rattraper le groupe nous précédant. Heureusement, quelques coureurs revenant de l’arrière venaient nous prêter main forte, ce qui nous permettait de former un nouveau groupe conséquent avant le pied du col.
A la déroute jusqu’au sommet de la Colombière
Le col de l’Epine m’était inconnu, et n’avait vraiment rien d’effrayant sur le papier. Avec seulement 7 km de montée et des pourcentages relativement faibles, il devait se passer tranquillement. Seulement, après six étapes à enchaîner les cols, mes jambes ne répondaient plus comme je voulais…
Dans les premiers kilomètres d’ascension, j’arrivais à garder les roues de mes compagnons de route, pour certains bien placés au général ce qui me rassurait sur mon placement à ce moment de la course. Mais petit à petit, les forces commençaient à manquer et je lâchais quelques mètres à ce petit groupe qui s’était formé. Sans m’affoler, je lâchais mètres après mètres, restant à portée de fusil du groupe, sans pouvoir me remobiliser pour boucher le trou. Le sommet en vue, je lâchais encore du terrain, accompagné d’un coureur belge, concurrent direct pour le classement général.
Je remplissais mes bidons au sommet, puis me lançais à fond dans la descente. Je pensais bien rattraper mon retard, mais celle-ci était peu sinueuse et peu pentue, réclamant de pédaler pour prendre de la vitesse. Je perdais beaucoup d’énergie à ce petit jeu, et parvenais quand même à revenir sur un bon groupe pour traverser la vallée suivante.
Ayant pris le temps de me ravitailler, je constatais avec horreur que cette vallée n’avait rien de plat. Les faux-plat montants s’enchaînaient, et j’avais toutes les peines du monde à suivre le rythme imposé par ce groupe. Quelques mètres plus loin, j’étais obligé de lâcher prise et me retrouvais perdu dans la pampa… Cette partie étant toujours chronométrée, il fallait quand même rester concentré et avancer coûte que coûte pour perdre le moins de temps possible.
Alors que j’étais planté dans cette vallée interminable, deux coureurs qui avaient lâché avant moi revenaient sur mes talons. Nous attaquions l’ascension du Col de la Colombière à trois, mais cela n’allait pas durer. Bien que ce col ne présente pas une difficulté excessive, il suffisait pour opérer une belle sélection à ce stade de la course. Paul, un hollandais, imprimait le tempo pour notre trio, qui me convenait bien au début mais me faisait rapidement souffrir. Celui-ci s’envolait devant nous, tandis que je restais derrière avec mon concurrent belge en vue du classement général.
Malgré tous mes efforts, celui-ci arrivait à me distancer légèrement à l’approche du sommet, je n’avais plus la force de me battre pour hausser le rythme même pour un court instant. Mon corps atteignait ses limites…
Je franchissais le tapis de chronométrage au sommet avec soulagement, puis profitais du ravitaillement pour me remettre d’aplomb. La vue sur le Mont Blanc tout proche était impressionnante, permettant d’oublier un court instant le terrible programme qui nous attendais encore…
Le mur de Joux Plane pour nous achever !
Après quelques minutes de repos, je filais dans la descente pour retrouver rapidement la vallée et rejoindre un petit groupe avant la reprise du chrono. Celui-ci reprenait évidemment au pied d’une belle bosse, mais les pourcentages peu élevés me permettaient de garder le contact, et même de prendre des relais pour participer à la progression de tout le monde.
Mais le dernier gros morceau de la journée arrivait vite. Au détour d’un rond-point dans la localité de Samoëns, un panneau nous indiquant le sommet du col de Joux Plane à 11 kilomètres était lourd de sens. Il fallait encore gravir ce col connu pour sa difficulté, mais je ne savais pas pour ma part à quoi m’attendre. Le pourcentage moyen de presque 9 % était pourtant bien explicite !
Rapidement, notre groupe se disloquait sous les effets de la pente. J’adoptais le rythme le plus rapide possible, et ne perdait pas trop de terrain sur les meilleurs grimpeurs qui m’accompagnaient. Je prenais la roue d’un coureur anglais, dont la cadence me convenait, puis tentais de rester concentré sur mon effort. Puis, petit à petit, mes jambes semblaient retrouver un peu d’allant et j’augmentais légèrement le rythme pour reprendre quelques coureurs. Je souffrais quand même dans les nombreux passages à plus de 10 %, mais ce regain de vigueur me donnait une motivation en béton !
Je calais néanmoins dans les deux derniers kilomètres, transpirant à grosse goutte et jetant ce qu’il me restait de force dans la bataille pour franchir le sommet le plus rapidement possible. C’était chose faite quelques instants plus tard, au sommet d’un col magnifique et qui mérite amplement sa réputation.
Il ne restait plus qu’à redescendre tranquillement sur Morzine pour cette descente non chronométrée jusqu’à la ligne d’arrivée officielle.
Je retrouvais dans cette charmante station ma famille et Julien pour un repos bien mérité, avant de découvrir les résultats de l’étape. Cette mauvaise journée me plaçait à la 53ème place du jour, mais je gagnais une place au général pour me placer en 40ème position. Avec seulement 45″ d’avance sur mon poursuivant au général, je me doutais qu’il serait compliqué de rester dans le top 40… J’en faisais pourtant mon objectif de cette fin de Haute Route, car en cyclisme comme ailleurs, il ne faut jamais s’avouer vaincu avant d’avoir passé la ligne d’arrivée !
Superbes photos ! Et la région semble magnifique, je te jalouse :s